Le mouvement de la vie est incertitude, rien n’est jamais acquis. Et tant mieux. Car au royaume des certitudes, nous serions chosifiés.
TRAVAILLER SANS SAVOIR
L’incertitude actuelle est une tempête parmi d’autres dont on ne connait ni l’amplitude ni l’antidote. L’ennemi invisible est omniprésent. Il a pénétré le monde de l’entreprise, il est dans la tête et le cœur des hommes, dans leur regard et leur visage masqué. Chaque geste de protection sanitaire est un rappel à l’ordre du danger. Les protocoles s’accumulent comme autant de tentatives illusoires de réassurance que l’ennemi invisible est neutralisé. Le problème pour l’entrepreneur n’est pas qu’il ne parvient pas à communiquer l’information, mais que l’information objective n’existe pas en terre inconnue.
Et alors que les sciences étaient jadis un point d’appui rationnel, désormais elles se contredisent, les experts, « ceux qui savent », défendent des points de vue contradictoires alors que nous leur demandions des vérités irréfutables. Pour le manager qui veut contrer l’incertitude, les points d’appui du passé (études de marché, statistiques…) font pâle figure. Il doit faire face.
Mais comme disait Keynes : « Tout simplement, nous ne savons pas ».
Au sein de l’entreprise, passer du « je sais » au « je ne sais pas » n’est pas chose facile. Comment poser sans honte les enjeux de l’incertitude économique et sanitaire ?
Vivre, c’est changer
Ce qui est vivant a sa propre logique. Notre vie a ses reliefs, son inconstance, son lot de joies et de souffrances. La plupart des personnes changeront au cours de leur vie de métier, d’amour, de valeurs.
« L’arrivée de ce virus doit nous rappeler que l’incertitude reste un élément inexpugnable de la condition humaine. Toutes les assurances sociales auxquelles vous pouvez souscrire ne seront jamais capables de vous garantir que vous ne tomberez pas malade ou que vous serez heureux en ménage ! Nous essayons de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes, à travers des îlots et des archipels de certitudes sur lesquels on se ravitaille. »
Edgar Morin
L’INCERTITUDE EST UN INSTINCT DE VIE
L’incertitude attise notre quête de sens, notre soif de devenir et de faire autrement, de nous former et de nous transformer. Lorsque l’humain ose affronter l’inconnu, le besoin de tracer son propre chemin le mène vers ce qu’il est. Quand il en fait l’expérience, il gagne en confiance, en motivation, en capacité d’adaptation et d’ouverture.
Notre besoin de certitudes est certes le socle de notre civilisation. Mais en même temps, l’humain, trop infantilisé dans une société contrôlante, ne cessera jamais de rêver d’ailleurs, de renouveau, de prise de risques. Il a besoin de se réinventer pour célébrer sa part de vivant.
Pour reprendre Edgar Morin encore :« Attends-toi à l’inattendu. »
Bien sûr, chacun de nous craint ce qu’il ne connait pas. Mais cette peur, qui nous donne parfois le vertige, est-elle ce qui nous empêche, ce qui nous guide ou ce qui nous élève ?
“J’ai appris que le courage n’est pas l’absence de peur, mais la capacité de la vaincre… L’homme courageux n’est pas celui qui n’a pas peur. Mais celui qui conquiert la peur. »
Nelson Mandela
Au travail, le trop-plein d’incertitudes peut être générateur de stress et d’angoisses qui, à forte dose, deviennent toxiques. Ainsi, un manager trop angoissé se coupe de fait de ses équipes : il agit et réagit sans le recul nécessaire, sans la reliance aux autres. Or, en cette période de bouleversement et d’adaptation. Partager sa réflexion n’est pas une faiblesse, demander de l’aide non plus. Au contraire, c’est une force qui enraye l’insécurité et l’isolement. En se libérant de ses tensions et de ses peurs, le professionnel offre à l’autre sa force retrouvée : il fédère, il impacte et par effet miroir, il inspire et redonne confiance. Ainsi, il devient un puissant vecteur de transformation pour les autres car il donne envie de lutter et de surmonter les difficultés.
L’incertitude est naturelle
Elle n’est pas un état ou une disposition contextuelle car elle est inhérente à tout instant de la vie : que savons-nous de ce que sera l’actualité demain ? Qui rencontrerons-nous ? Comment sera notre vie dans 5 ans, dans 10 ans ? Quels objectifs de vie aurons-nous alors ?
Edgar Morin
En période de crise (pandémie, guerre, mais aussi chômage, divorce, maladie…), les capacités humaines d’adaptation reflètent la capacité à faire face, à résilier, à composer avec : ne pas fuir ses peurs et ses angoisses, les reconnaitre en les mettant en lumière pour mieux les apprivoiser.
L’état d’esprit, pilier de la vie
Les peurs sont le levain de notre élan de vie. Les neurosciences ont largement démontré qu’un cerveau emmitouflé dans ses certitudes et ses habitudes émet moins de connexions neuronales et se régénère moins que celui d’une personne qui ose entreprendre et pense l’avenir en termes de possibles.
Carol S.Dweck, Professeur de psychologie à l’Université de Stanford, a démontré que notre état d’esprit, ou mindset, façonne nos réussites selon qu’il est figé ou en croissance. Il est composé de croyances qui orientent la manière dont chacun gère une situation et réagit.
Carol S.Dweck distingue d’une part les croyances positives, dites croyances de croissance, qui nous aident à sortir de l’impasse en saisissant les opportunités. Et d’autre part, les croyances négatives, qui sont limitantes car elles piègent la personne dans des mécanismes réducteurs et autodestructeurs.
Si l’état d’esprit d’une personne est trop figé, emmuré par des tonnes de certitudes négatives sur elle-même et sur la vie, elle fonctionne alors en mode défensif, en doutant de ses capacités. A l’inverse, si l’état d’esprit de la personne est en mode de croissance, c’est-à-dire qu’elle considère que l’être humain et l’intelligence sont en évolution constante, alors elle va trouver l’énergie pour améliorer la situation, en travaillant sur ses freins et ses erreurs. Et avec persévérance elle obtient sa résilience.
EN PRATIQUE
Ma pratique de PsyCoach m’amène à accompagner des particuliers et des professionnels. Dès les premières rencontres, je me focalise sur le renforcement de l’état d’esprit de la personne.
Prenons l’exemple d’un manager : sans un état d’esprit fort, il ne réussira pas à transformer les difficultés en opportunités. Mon travail de psychologue et coach professionnel consiste alors à mettre à jour quels blocages doivent être levés, s’il existe des traumatismes qui font barrage (je les traite par l’EMDR), et bien sûr quelles croyances négatives et limitantes sont ancrées. Leur dissolution va ouvrir les portes du succès pour atteindre les objectifs souhaités. Ainsi, le mental est comme régénéré, et l’état d’esprit de croissance peut se déployer et grandir librement.
Chemin faisant, le manager fait l’apprentissage de l’incertitude, en se délestant de la tentation de vouloir tout contrôler, tout prévoir, qui est une mission impossible. En acceptant d’être imparfait, il s’allège. L’enjeu est capital car il lui permet de passer de l’obscurité à la lumière en se reliant aux autres : en se délestant de cet idéal illusoire du toujours paraitre, il peut enfin briller vraiment et inspirer son équipe qui trouve un sens commun au travail à poursuivre. Tout comme le sportif, il trouve en chemin des stratégies de réussite, augmente sa capacité à faire face aux difficultés, accepte les échecs et les épreuves qui sont autant de leviers et de ressorts pour rebondir et progresser.
CHACUN TRACE SON CHEMIN
Au démarrage d’un accompagnement en PsyCoaching, les questions incontournables sont posées : la personne accompagnée et le psycoach doivent cheminer dans la même voie, car sans objectif clair et réaliste, il n’y a pas d’état d’esprit fort :
« Nul n’est de vent favorable à celui qui ne sait pas où aller », disait déjà en son temps Sénèque…
Ainsi, le voyage a une destination : la cible à atteindre doit être formellement définie, et tout le travail d’accompagnement tend vers cet objectif : Que voulez-vous ? Quel est votre objectif ? Alors seulement, nous savons, ensemble, quelles valeurs sont à renforcer, quels freins sont à lever. Et au fur et à mesure, les obstacles qui étaient hier insurmontables deviennent progressivement franchissables.
L’AUTRE EST UN INCONNU
Dans l’approche centrée sur la personne (approche humaniste inspirée par Carl Rogers), le thérapeute n’est pas celui qui sait, qui connait ce que l’autre ne sait pas. Il adopte la position basse, de celui qui découvre avec l’autre le chemin qu’il va choisir pour son voyage personnel. Ainsi, chacun a le sentiment d’être vraiment acteur de sa transformation et non pas réduit à la position de « victime de » (de la pandémie, de la crise, du destin, des autres…). En exploitant la capacite humaine de se transformer, en osant l’inconnu, la personne accompagnée dans sa quête redevient garante de son bien-être, de ses choix, de ses émotions et de ses réussites.
Être acteur de son développement forge le gout du risque, l’exigence d’aller de l’avant et de se libérer du connu pour oser l’inconnu.
Faire face à l’inconnu nous rend puissant. Car en se recroquevillant dans le monde des certitudes, l’humain appauvrit ses capacités d’adaptation : il fait le mort.
Dans cette période de bouleversement, être accompagné par un professionnel à l’état d’esprit positif contribue à nourrir l’énergie de l’existence pour traverser le brouillard obscur de la condition humaine :
Invente-toi et puis réinvente toi. Ne nage pas dans la même boue.
Invente-toi et réinvente-toi et reste en dehors du piège de la médiocrité.
Invente-toi et réinvente-toi.
Change de ton et de formes si souvent qu’ils ne pourront jamais te mettre dans des cases.
Ressource-toi et accepte ce qui est mais seulement selon les termes que tu as inventé et réinventé.
Apprends par toi-même.
Et réinvente ta vie parce que tu le dois.
C’est ta vie et ton histoire et le présent n’appartient qu’à toi.
Charles Bukowski, (No Leaders, please)
Le moteur de la vie est l’incertitude. Il n’y a pas d’autre possible que de rêver, se réinventer, s’adapter à ce qui se présente. Se cloîtrer dans le savoir autoritaire, les conventions et les normes, n’est qu’une tentative vaine pour éviter l’essence de la vie :
« On ne peut pas inviter le vent, mais on doit laisser la fenêtre ouverte ».
Krishnamurti